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Prévente 2018 : « Nés comme ça », extrait de la nouvelle « Le casseur de branches »

La prévente a dépassé 80% du 2e objectif, avec plus de 3 660 $ en précommandes.

Il reste encore 21 jours pour atteindre le nouvel objectif de 4 500$. Tel que promis mardi dernier, voici l’extrait de la nouvelle « Le casseur de branches », tiré du recueil de fantastique / inconnu « Nés comme ça » de l’auteur Dave Côté :

Le casseur de branches
(extrait)
par Dave Côté

« En rentrant chez moi après le souper, je me suis surpris à repenser au casseur de branches. Les policiers l’avaient-ils attrapé? Si c’était le cas, qu’avaient-ils fait? Ils n’avaient tout de même pas pu l’enfermer pour avoir brisé des branches. Une simple amende, dans ce cas, et peut-être cela avait-il été suffisant pour décourager ce dingue. Mais la poursuite, et mon impression d’être en danger? Avait-il fallu une intervention plus sérieuse? Alors, n’aurais-je pas dû porter plainte?

Et juste comme j’avais ces réflexions, il est descendu devant moi. Je ne me l’explique toujours pas, mais il est descendu, en silence et avec une certaine vitesse, comme une araignée qui se laisse glisser le long de son fil et qui apparaît dans votre champ de vision tout d’un coup. Ses mains, écartées avec un effort visible, bougeaient comme s’il essayait de se dépêtrer d’un filet de pêche. On aurait dit qu’il contrôlait son altitude avec ces manipulations. Ses jambes étaient arquées vers l’arrière, dans une tentative de rester orienté à la verticale. Quand il est arrivé au niveau du sol, ses pieds se sont déposés sans un bruit sur la chaussée, et il a avancé la tête vers moi, comme s’il attendait de ma part la réponse à une question que personne n’avait posée. Il n’a plus bougé pendant de longues secondes. J’étais paralysé.

Je commençais à accepter l’idée que cette créature n’obéissait pas aux mêmes lois que moi. La police ne pourrait rien faire.

À quoi avais-je pensé? Rentrer seul chez moi, aussi tard!

– Viens. Tu es engagé sur une voie qui te fera du tort, et à moi aussi.

Sa voix était horrifiante. Trop aiguë. Tremblotante.

Il me souriait légèrement et faisait d’étranges gestes avec sa main droite, un peu comme s’il tentait de suivre le rythme d’une musique que je n’entendais pas.

Il a commencé à s’éloigner de son pas si lent. Je suis resté là. Après deux ou trois mètres, il s’est arrêté et a tourné la tête vers moi. Cette fois, un immense sourire déchirait son visage. Les dents étaient larges, carrées. Et jaunes. Du même jaune que des dents de souris. Elles étaient si grosses que je n’en voyais que quatre.

– Viens.

Exactement le même ton, pas la moindre forme d’insistance. Mais je savais bien que je n’avais pas le choix. Cette créature n’était pas agressive, pas encore, mais tous mes instincts me criaient que ça ne tarderait pas si je refusais d’obéir. Et sa main droite qui se dressait vers moi, comme un serpent endormi, tout en marquant le rythme d’une mélodie inaudible.

Alors j’ai commencé à marcher.

À un moment donné, il a écarté les bras, à la manière d’un équilibriste qui marcherait sur un fil invisible. Il posait ses pieds avec beaucoup d’attention et une lenteur redoublée. Quand j’ai rejoint l’endroit où il avait amorcé cette étrange démarche, j’ai baissé les yeux. J’ai vu une ligne bleue, lumineuse, sur laquelle j’avais de la difficulté à faire le focus. C’était comme si elle se situait à la fois trop près et trop loin de mon visage, mes efforts pour l’observer se soldaient par un larmoiement désagréable. Je n’ai pas essayé de marcher dessus comme le casseur de branches. C’était de la mauvaise foi, bien entendu, une sorte de provocation stupide. Mais je me sentais tellement obligé de le suivre que j’avais envie, puérilement, d’avoir une conduite antisportive. Quand j’ai posé le pied par terre, à côté de la ligne, je suis passé à travers le sol. Une main m’a aussitôt saisi par le bras. Si fort que j’avais l’impression qu’on allait me l’arracher. C’était lui, il était revenu en arrière pour m’attraper. Si vite! Personne n’aurait eu le temps de franchir les plusieurs mètres qui nous séparaient. Personne de normal, en tout cas.

– Attention. Ça tombe.

Son visage était tout à coup très près du mien. Et j’ai pu voir qu’il n’avait pas de si grands yeux, en fin de compte. Ils étaient de taille normale, mais les difformités que j’avais remarquées plus tôt étaient en fait d’autres yeux, plus petits, agglutinés autour. Ses narines palpitaient, sa peau poreuse luisait.
Il a haussé les sourcils à mon attention, comme pour me demander si j’avais compris le danger de la situation.

Puis, il m’a remis d’aplomb sur la ligne bleue et a repris sa progression.

Cette fois, je l’ai imité.

Et à chaque pas, le décor autour de moi changeait. Se diluait, graduellement, dans un autre. Une autre ville. Et tout à coup, il s’est mis à faire plus chaud, beaucoup plus chaud, même si nous étions en plein mois de juillet et que c’était déjà la canicule. Les maisons étaient collées les unes aux autres, parfois même les unes sur les autres, et des détritus jonchaient la rue, maintenant plus craquelée que ce je n’avais jamais pu voir ailleurs. Et il y avait un temple, assez loin, hors du village où je me trouvais. J’ai gravé l’image de sa silhouette nocturne dans ma mémoire. Une forme simple mais immense, évoquant les dessins d’enfants quand ils veulent illustrer une maison. Des murs droits, un toit triangulaire. Et des structures, un peu plus petites, à côté. De petites tours surmontées d’un pic.

Le casseur de branches s’est écarté de la ligne bleue. Vers un petit arbre. Un jeune Sal. Une variété qui pousse en Inde. J’en connais le nom parce que c’est le mien.

Quand je l’ai vu, j’ai tout compris. Il m’avait emmené à mon arbre. Je le savais rien qu’en le voyant. J’avais l’impression de me trouver devant un miroir, mais beaucoup plus incarné qu’un simple reflet. J’étais en compagnie d’un dédoublement de moi-même. J’ai tout de suite remarqué un n?ud d’une bonne taille. Une vieille cicatrice, un endroit mal guéri par lequel les insectes pouvaient entrer et ronger tout de l’intérieur. »

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