Dave Côté : extrait « Pourquoi qu’astheure on s’baigne dans l’Lac dans nuite du jour de l’an »
Résumé
De retour dans sa région d’origine, après des années d’exil, un Jeannois remarque que l’accent du Lac a disparu.
Extraits
Richard a pas trop trop dormi c’te nuitte-là. Y r’grettait d’pas avoir posé ses questions su l’coup, parce que là, y’a pas été capable de penser à autre chose que l’accent qui vient pis qui r’part. Fait que l’endemain, d’vant son café, les yeux pochés pis la bouche pâteuse, y s’est dit qu’y’était aussi ben de crever l’abcès tusuite.
— Mathieu ? J’ai une question qui va te paraître bizarre.
— Vas-y mon gars.
— Cette nuit, quand je t’ai réveillé, tu…
Y’a pris l’temps de ben checker la face de son chum, pour voir si y comprendrait avant qu’y finisse sa phrase. Mais non : y’avait l’air ben normal.
Marie Christine Bernard : extrait « Une perdrix dans les feuillage »
Crédit photo : Sarah Benchaa
Résumé
Au sommet du mont Apica, trente ans après un terrible cataclysme, une jeune fille s’apprête à devenir une adulte.
Extraits
Le récit s’achevait toujours ainsi. Pileu savait que Freddy n’aimait pas s’attarder sur la suite. La misère des premières années. La faim. La chasse devenue tellement difficile. Les querelles violentes. Le Mal qui emportait les enfants, comme un genre de typhus, mais qui ne touchait à peu près pas les adultes. Tous ces deuils, toutes ces misères, Freddy ne souhaitait pas s’y attarder. Il préférait raconter des histoires de chasse, d’orignaux, de raquettes, de mésaventures sur des glaces minces. Mais pour Pileu, ce n’était pas la fin. C’était le début de son histoire à elle.
Philippe-Aubert Côté présente À l’Ère des Jumeaux errants
Résumé
Nahual. La terre aux deux soleils. Celle où les dieux ont crée? les humains, les kowai, les phasmes et autres sapiens avant de les abandonner à leur propre évolution. Partis créer de nouveaux mondes, les dieux n’ont laissé que leur parole en héritage. Ainsi que des artefacts magiques, gardés jalousement par une guilde de gardiens dont la mission se transmet par l’hérédité.
Quand elle était enfant, Alya, a noué un lien onirique avec Shamek, le fils d’un gardien – et pas n’importe lequel : celui du « Grimoire » renfermant la connaissance absolue. Devenue adulte, la jeune femme a oublié ce lien et chasse avec d’autres nomades les perles énergétiques pondues par l’étrange faune de Nahual.
Mais le passé resurgit quand l’armée de la cité-État de Jesmelah capture Alya pour la forcer à participer à une périlleuse mission : retrouver et éliminer Shamek pour s’emparer du Grimoire. Alya devra décider entre protéger son ami d’enfance ou obéir à l’instigatrice de cette aventure démente : sa propre mère…
À l’origine des Jumeaux errants, par Philippe-Aubert Côté
Cette histoire de science-fantasy résulte de la collision de deux idées.
La première : un samedi matin de pandémie, Francis, mon conjoint, regardait un épisode de Yu-Gi-Oh à la télévision. Je crois que des personnages essayaient de pénétrer dans un sanctuaire gardé par une sorte de Minotaure – sans doute pour y voler un artefact magique. De mémoire, l’un des personnages se retrouvait à devoir affronter le monstre alors qu’il n’était même pas intéressé à pénétrer dans ledit sanctuaire – ce qui rendait la créature perplexe. Le personnage se sauvait, et le Minotaure voulait le poursuivre, mais comme il ne pouvait le faire sans abandonner son artefact, il restait sur place. Enfin, je crois.
Ce dont je me souviens toutefois, c’est d’avoir eu cette réflexion : être gardien d’objets magiques, ça doit être ennuyant comme travail. Il faut toujours rester au même endroit à surveiller un objet pour barrer la route à ceux et celles qui veulent s’en emparer – je pensai notamment au Chevalier du Graal dans Indiana Jones (700 ans d’attente dans sa caverne avant de voir du monde, ce n’est guère palpitant…).
Puis d’autres idées ont commencé à me trotter en tête : et si être Gardien d’artefact était un métier régi par une guilde? Une tâche qui se lègue de parents à enfants? Et j’ai dit à Francis : « Ça aurait du potentiel, une histoire où un jeune gardien décide de partir voir le monde en emportant son artefact avec lui. Il pourrait créer un joyeux bordel! »
J’ai retourné l’idée en tête, et quand Jonathan Reynolds m’a contacté pour Crépuscules, j’ai décidé que je ferai une nouvelle de science-fantasy sur ce thème. Mais je voulais y associer une seconde idée hétérogène pour envoyer l’histoire dans une direction inattendue… Et le hasard m’a mis sous les yeux un article sur le « sommeil crépusculaire », une méthode d’accouchement auquel aurait recouru la défunte Élisabeth II pour donner naissance à l’actuel Charles III. En gros, on injectait aux parturientes un cocktail de morphine et de scopolamine (drogue employée par les nazis comme sérum de vérité) pour induire un état semi-lucide. La patiente vivait l’accouchement sans trop ressentir de douleur et surtout sans se rappeler celle-ci. Le problème : dans beaucoup de cas, les pauvres mères oubliaient carrément qu’elles avaient accouché. Elles devenaient incapables de nouer un lien avec leurs enfants.
Je tenais ma seconde idée. Je la combinai à la première et rédigeai le texte que vous pourrez bientôt lire dans Crépuscules.
Extrait
« Après trois jours de voyage, Alya embarque avec Maledah et deux gardes dans une nacelle accrochée au ventre d’un coléoptère de taille moyenne, dressé pour le transport aérien. Guidé par un phasme installé dans un cockpit fixé à son pronotum, l’insecte s’éjecte de l’aéronef pour plonger dans les nuages en dessous. Alya a juste le temps d’entrevoir la forteresse volante où on l’a séquestrée, un monstre à multiples hélices normalement employé par les cités-États pour les expéditions militaires. « Tout ça juste pour moi ? demande-t-elle à la technomage.
— Vu ton importance, c’est une dépense minime. »
Dix minutes plus tard, le coléoptère ralentit et les nuages – devenus brume – se déchirent devant un sol graveleux. Il s’y pose en douceur, puis marche vers le côté.
Alya descend de la nacelle, parcourt les alentours d’un regard : difficile de discerner quoi que ce soit dans ces vapeurs, hormis quelques vagues bâtiments aux courbes organiques. L’air embaume le sel de l’océan, le ressac de vagues lui parvient de loin. Quelques cris d’animaux volants. Le calme du littoral. Et le froid.
Un froid dont sa chair se souvient.
Elle doit être déjà venue ici. Il y a très longtemps. Son cerveau a oublié, sa peau, non. « Où sommes-nous ?
— À Torquevalah. Dans le moyen-nord. »
Alya suit Maledah sur une passerelle reliant l’aire d’atterrissage, construite sur une petite colline, à une série de maisons montées sur pilotis, avec des murs de bois soutenus par les os taillés de quelque monstre marin. Entre chaque pilot, un sol boueux, avec des algues, mais aussi des plantes et des arbres. Un milieu médiolittoral, ou un marécage, sûrement dans le delta du fleuve Achar, près de la Cité des Brumes de rêves.
À travers les portes et les fenêtres ouvertes, des gens avec des tabliers ou des sarraus gris interrompent un instant leur besogne pour observer Alya et son escorte, avant d’échanger quelques murmures inaudibles, aux accents contrariés. Ils semblent trier des crustacés fraîchement pêchés.
Après une série de quartiers tous montés sur pilotis, Alya marche à nouveau sur la terre ferme, celle d’une vaste colline – sans doute une île à marée haute – autour de laquelle le village s’est développé. Sur ses flancs, des usines de transformations, avec leurs tuyaux et leurs mécanismes compliqués. Elle se trouve donc dans une communauté de pêcheurs fortunés, qui ne se contentent pas de capturer les fruits de la mer, mais aussi de les transformer et d’en vendre les produits raffinés aux grandes cités. Plus haut, un château en os, bois et pierre, avec des toits concaves pour canaliser les eaux de pluie.
Ce bâtiment… Elle l’a déjà vu dans ses rêves.
Ou dans un souvenir si ancien, si flou, qu’elle l’avait associé au monde des songes.
Elle est née ici. C’est certain. Sa mère et elle viennent de Torquevalah.
Mais un élément jure dans ce décor : au pied du château, et à certains endroits autour du périmètre des maisons, on a planté des lames acérées en biais dans le sol, leurs pointes dirigées vers l’extérieur. Des câbles les relient entre elles, puis à des batteries de perles de foudre. « Qu’est-ce que c’est ? demande Alya.
— Une barrière contre la Tarsie. »
La Tarsie. Alya réprime un frisson, lequel n’échappe pas à Maledah. « Tu la connais, hein ?
— Non.
— Et Shamek ?
— Non. »
Elle dissimule sûrement mal sa surprise, parce que Maledah esquisse un petit sourire.
Le groupe atteint les remparts du château, où des soldats arborant l’arbre doré gardent la porte.
Sur la promenade au-dessus de celle-ci, une silhouette floue dans la brume, une dame âgée, coiffée d’une sorte de tricorne. Elle semble les surveiller.
Sa mère ? Non, cette grand-mère-là lui ressemble, mais est beaucoup trop vieille. Lui ressemble-t-elle vraiment, d’ailleurs ? C’est peut-être une illusion causée par le brouillard.
« Après toi », lui dit Maledah en indiquant l’entrée.
Alya la regarde, puis lève à nouveau les yeux vers les remparts.
Gabriel Marcoux-Chabot : extraits « L’odeur du caribou et le goût du sang frais»
Résumé
Au début du 22e siècle, au nord du Saguenay-Lac-Saint-Jean, une femme sans nom, unique survivante d’une communauté de pirates à motoneige, mène une existence solitaire jusqu’au jour où sa route croise celle d’un groupe de chasseurs de caribou. Dans les bras de Malinoche, qui boit le sang des bêtes qu’elle vient de tuer, elle perd ses repères et en trouve de nouveaux, réinvente les gestes de l’amour et s’anime d’un désir dont elle mettra toute une vie à se libérer.
Extraits
Extrait 1
En un instant, tout avait basculé. De la communauté, il n’était plus resté que quelques individus désespérés, luttant pour leur survie. Blessé, son père avait fait ce qu’il fallait pour la protéger. Frappant vite et fort, il était parvenu à s’échapper, entraînant sa fille avec lui. Deux motoneiges dans la nuit. Le camp en feu. Les hurlements d’agonie derrière la porte barricadée. Bientôt, son père s’était arrêté. Trop faible. C’est ce qu’il avait réussi à marmonner. Alors, elle avait changé de véhicule, s’était glissée sur la selle devant lui. Il avait entouré sa taille de ses bras, comme elle-même le faisait enfant. Elle était repartie, les dents serrées, les mains agrippées au guidon. Elle avait roulé ainsi toute la nuit, faisant semblant de croire que le sang continuait de couler dans les veines de son père, dont le corps, pressé contre le sien, ne parvenait plus à la réchauffer. Un peu avant l’aube, dans un virage, lorsqu’elle avait senti le cadavre raidi basculer sur le côté, elle ne s’était pas arrêtée. Elle avait foncé, sur sa motoneige à présent plus légère, jusqu’à ce que le bruit du moteur recouvre ses moindres pensées. Elle avait dévoré l’espace, franchi les distances, traversé les années, jusqu’à ce que sa souffrance se mue en silence et son silence en solitude absolue.
Extrait 2
À cette époque, elle n’aurait probablement rien mis sous sa combinaison. Elle filait alors sur sa motoneige, la belle Malinoche serrée contre elle, elle filait pour nulle part, le vent dans les cheveux, le cœur en fête, heureuse comme elle ne l’avait jamais été et comme elle ne le serait jamais par la suite. Elle n’aurait rien mis sous sa combinaison, pour mieux sentir les mains de la jeune femme agrippées à ses hanches, pour épouser dans tout son corps l’élan de ses vingt ans et, surtout, pour pouvoir sortir le plus rapidement possible de son seul et unique vêtement, pour en jaillir flambant nue dans l’abri qu’elles se seraient construit, flambant nue devant le seul être humain dont elle avait jamais eu envie.
Extrait 3
La femme sans nom n’avait pas réagi. Elle comprenait les mots qu’elle entendait, mais elle ignorait si elle pouvait y répondre. Il y avait trop longtemps qu’elle n’avait pas parlé et cette prise de conscience la troublait. Elle songeait à son père, à ses oncles, à ses tantes, à ses cousins et à ses cousines, à tous ceux et celles qui avaient été les siens et dont elle n’arrivait plus à entendre les voix dans sa tête. Pour la première fois, son propre nom lui manquait. En même temps, elle sentait grandir en elle un désir étrange, mystérieux, indéfinissable, qui l’arrachait au passé et la plongeait dans la nostalgie d’un temps qu’elle n’avait pas vécu, d’un temps encore à venir. Ne sachant plus qui elle était ni vers où pointait son désir, elle demeurait là sans bouger, comme si elle s’était soudain retrouvée au seuil d’un abri, dans la chaleur d’un feu vif et lumineux, se demandant si elle venait d’arriver ou si elle s’apprêtait à partir.
Extrait 4
Accueillie au sein d’un groupe de chasseurs, la femme sans nom avait appris à manipuler la lance et le propulseur dont ils se servaient pour abattre le gros gibier. Auprès d’eux, elle avait appris de nouvelles manières de traquer les bêtes, de préparer leur viande et de la conserver. À son tour, elle leur avait montré sa propre manière de chasser. Au bout d’un certain temps, elle leur avait même révélé l’existence de sa motoneige, qui avait fait sensation au sein de la petite communauté. Mais la seule personne à qui elle avait permis de tenir sa carabine, la seule qu’elle avait laissée monter derrière elle sur la selle de son engin, c’était Malinoche, la belle, l’inconcevable Malinoche, la seule dont la simple présence déclenchait en elle une faim qu’elle n’arrivait pas à s’expliquer. Elles ne se parlaient pas, ou lorsque Malinoche parlait, l’autre ne répondait jamais, mais les deux femmes se regardaient avec des yeux ardents qui cherchaient encore les gestes pour s’exprimer.
Extrait 5
Depuis leur rencontre, la femme sans nom avait souvent vu sa compagne tailler des blocs de neige durcie pour se construire un abri. Par deux fois, elle l’avait vue achever un caribou d’un coup vigoureux de sa petite pelle carrée. Elle avait pu admirer sa précision, son habileté. Mais jamais encore elle ne l’avait vue mettre ses talents au service de la pure beauté. Sa pelle aiguisée creusait sans effort la surface lisse du bloc qu’elles venaient de fabriquer. Chacun de ses coups prélevait la quantité de neige adéquate, faisait apparaître la forme souhaitée.
La femme sans nom avait essayé de l’aider. En vain. Ses coups manquaient de finesse, toujours trop forts, ou pas assez. Elle qui pouvait démonter sa motoneige les yeux fermés, elle n’arrivait pas à poursuivre les lignes que la sculpteuse avait commencé à tracer. Elle avec fini par abandonner, se contentant d’observer la lente évolution du bloc de neige, dont la forme évoquait de plus en plus clairement la silhouette de leurs deux corps enlacés.
Lorsque Malinoche s’était arrêtée, les yeux de la femme sans nom brillaient tant que la sculpteuse avait ri, troublée. « Ce n’est rien, avait-elle déclaré. Tu devrais voir ce que certains sont capables de faire, lors de la grande fête qui marque le début de l’année. » Les yeux humides, la femme sans nom s’était contentée de la prendre dans ses bras et de l’embrasser. Elle ne pouvait pas savoir qu’elle ne verrait jamais ces sculptures immenses, hautes de quinze pieds, qui s’élevaient chaque année à la surface du lac gelé. Elle ne pouvait pas savoir qu’elle s’enfuirait avant la fête, le cœur tordu, l’âme déchirée. Surtout, elle ne pouvait pas savoir que la sculpteuse venait de découper à même le bloc glacé de son cœur la forme d’un amour dont elle mettrait toute une vie à se libérer.
Luna angoisse dès lors qu’elle ne peut plus travailler à la maison. Madame Rose, qui le sait fort bien, lui envoie toujours des clients à domicile. Aussi, le jour où elle demande à Luna d’aller réconforter chez lui un client déprimé, cette dernière devient nerveuse. Mais bon, puisque «le ptit pitou est triste»…
Au salon, un malaise flotte, comme si ni Luna ni le client ne savait plus quoi dire ou faire. Mais une fois dans la chambre à coucher vaste et sombre, où trône un lit à baldaquin, les choses deviennent plus cochonnes et l’homme s’agite. Il élève la voix. Devient vulgaire.
L’estomac de Luna se noue lorsqu’elle prend conscience que ce n’est pas à elle que s’adresse l’homme.
Extraits
Extraits de Regarde-moi
1re extrait :
« – Laissez-moi vous offrir un autre verre.
Durocher (elle évita de se le représenter en «Denis»; une trop grande familiarité était à proscrire) retourna dans la direction qu’il avait prise plus tôt, mais sans emporter les deux ballons. Le bruit de ses pas s’éloigna sur le plancher de bois. Cette maison semblait immense. Luna se retrouva dans un silence total qui lui fit regretter que Durocher n’eût pas allumé la télé ou mis de la musique, histoire de changer l’ambiance.
De nouveau le décor du salon pesa sur Luna. Meubles et bibelots semblaient en attente de quelque chose, sur le qui-vive peut-être, à croire que les objets avaient aussi leurs humeurs. Elle changea de position, croisa les jambes, regarda à gauche et à droite. Bien que luxueuse, cette pièce était… inconfortable. Ou alors c’est elle qui n’était pas faite pour une telle opulence. Elle ne pourrait habiter ici, c’est certain. Que faisait son hôte? L’observait-il de quelque part? Qui sait s’il ne se trouvait pas dehors, de l’autre côté de la craque entre les rideaux? N’était-il pas du genre à installer des caméras de surveillance partout? Peut-être se trouvait-il, en ce moment même, assis devant un moniteur? Il n’y avait nulle trace de caméra, ni sur les murs ni au plafond. Elle aurait pu se trouver dans un repli des lourdes tentures, ou cachée derrière les couleurs sombres de ce tableau, là-bas, ou au fin fond du foyer qu’on aurait dit de marbre. Non, pas au fond quand même. Luna, Luna, tu te fais des idées. Tu es trop nerveuse pour rien, encore une fois. C’est la faute de madame Rose. Elle savait bien, pourtant, que Luna ne travaillait qu’à la maison. Pourquoi l’avoir obligée à se rendre chez ce Durocher? »
2e extrait :
« Pour un homme qui était passé si près d’exploser au creux de sa main, il avait refroidi bien vite.
– Allons plutôt dans la chambre. Ce sera plus… confortable. Plus stimulant aussi, ne croyez-vous pas?
Une nouvelle fois, Luna chercha les mots qu’il fallait dire. Mais elle ne se trouvait pas chez elle, elle n’était pas à l’aise, ses pensées n’étaient pas libres, et le mot «chambre» avait quelque chose d’inquiétant. Encore un endroit qu’elle ne connaissait pas. Et ce n’était pas tout. Si, à en croire madame Rose, le client avait un jour trouvé sa femme morte chez lui, n’y avait-il pas toutes les chances du monde que ce fût dans sa chambre? La chambre du deuil? Aller s’ébattre sur le lit de mort de quelqu’un? Comment savoir si elle était bien morte là? Luna voulut le demander à Durocher mais, au lieu de cela, elle le regarda se lever, s’éloigner, clic clac! clic clac!, s’arrêter, se retourner dans sa direction.
– Alors, tu viens?
*
L’escalier qui menait à l’étage, large comme un corridor et dont les degrés étaient recouverts d’un tapis moelleux, ressemblait à celui d’un grand hôtel à l’ancienne. Tout en haut de la rampe en bois ouvragé, un couloir criblé de portes traversait la maison, et c’est tout au bout que Durocher emmena Luna. Il ouvrit une porte puis, ayant reculé de deux pas, la laissa passer en premier.
«Est-ce que c’est ici que…», voulut-elle demander, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge tant elle craignait de ranimer de douloureux souvenirs. Ou pire, de l’entendre répondre « oui ». »